Le legs Cabal

Roger Cabal s’est passionné pour le monde des icônes. A une époque où régnait la plus grande indifférence pour cette forme d’art, il sut réunir une collection exceptionnelle. Si certaines œuvres sont actuellement au musée du Louvre, l’essentiel de sa collection est entré par legs au Petit Palais, faisant de ce musée la plus riche des collections publiques françaises en ce domaine.

Né à Bouzaréah, dans la banlieue d’Alger, en 1929, Roger Cabal est fils d’agriculteurs de l’Oranais. Diplômé en droit à Alger, il vient à Paris parfaire ses études en sciences politiques, puis s’engage dans une carrière de juriste dans l’industrie. En 1969, il devient délégué général du Groupement des industries françaises des appareils d’équipements ménagers avant d’en être nommé président en 1984. En 1987, la présidence de la commission du Conseil national du patronat français chargée des problèmes juridiques de la consommation lui est confiée.

En Toi se réjouitLa musique et la peinture occupent une grande place dans sa vie privée. En particulier, il développe une véritable passion pour l’art orthodoxe et commence à constituer une collection d’icônes dans les années 1960. Sa bibliothèque, également léguée au Petit Palais, témoigne des recherches poussées qu’il entreprend pour alimenter ses connaissances et orienter ses choix. Son intérêt se porte aussi bien sur la Russie que sur la Grèce, les Balkans, la Crète ou le mont Athos. Il correspond régulièrement avec les spécialistes de l’époque, comme le professeur Manolis Chatzidakis.

Il n’est pas exclu que son goût plus général pour l’art moderne, qu’il partage avec son ami Vladimir de Laek, lui ait ouvert les portes de la compréhension de l’art de l’icône dans un XXe siècle où l’Occident ne fait que peu de cas de cette production. On sait comment les révolutions plastiques du XXe siècle ont contribué, dans certains milieux, à poser un regard neuf sur cet art éloigné de toute préoccupation réaliste, affranchi de la perspective géométrique et dominé par des aplats de couleur. L’intérêt qu’ont porté Kandinsky ou Malevitch, mais également Matisse, à l’icône est connu.

Avec des moyens financiers limités, mais profitant des prix relativement bas de l’époque, Roger Cabal constitue ainsi au fil des années une collection variée d’icônes post-byzantines, relevant aussi bien des écoles créto-vénitienne, grecque ou balkaniques que des différents courants russes. Des archives personnelles, données au Petit Palais par sa sœur en 2018, montrent qu’il achète principalement les icônes sur le marché français, et plus particulièrement parisien.

Vue de la salle des icônes. © Pierre AntoineFormulé par écrit en 1997, le projet de donation de sa collection au Petit Palais est interrompu par sa mort, la même année. Son souhait a pu être reconnu comme legs verbal, et la Ville de Paris accepte en juin 1998 l’entrée dans les collections du Petit Palais de soixante-treize icônes accompagnées de cinq tissus brodés, d’objets de piété et de la bibliothèque mentionnée plus haut. La Ville a entre-temps acheté auprès des héritières trois icônes créto-vénitiennes, La Nativité, la Pietà et le Christ de pitié, selon des conditions fixées par Roger Cabal. Le musée a depuis acquis un ensemble de dessins servant de modèles ou de poncifs aux peintres d’icônes. Le tout vient compléter une série d’objets byzantins déjà conservés au Petit Palais, légués par les frères Dutuit au début du XXe siècle, parmi lesquels on peut citer la précieuse plaque de reliure en ivoire avec une Vierge à l’Enfant en trône du Xe siècle.

La fin de l’année 2017 a été marquée par l'inauguration d'une nouvelle salle consacrée aux arts chrétiens d'Orient qui réunit pour la première fois en un même espace la remarquable collection d'icônes constituée par Roger Cabal et les objets d’art byzantin entrés grâce au legs Dutuit.

R. Z.