Après deux médailles d'or aux Salons de 1874 et 1876, le sculpteur Jean-Paul Aubé remporte à nouveau un vif succès au Salon de 1879 avec ce portrait en pied du célèbre poète et homme politique florentin : Dante Alighieri (1265-1321), auteur de La Divine Comédie. Élève d'Antoine Laurent Dantan et de Francisque Duret à l'École des Beaux-Arts de Paris, Aubé réalise en 1866 un voyage en Italie qui développe chez lui un goût pour le style néo-renaissance.
La Divine Comédie, composée entre 1303 et 1321 et éditée pour la première fois en 1555, raconte le voyage imaginaire du narrateur qui se retrouve brusquement plongé dans une forêt sombre. Là, il rencontre le poète latin Virgile qui va lui servir de guide au cours de son périple. Cette œuvre monumentale, à la fois intellectuelle et spirituelle, se présente comme un voyage initiatique à travers les trois règnes de l’au-delà : l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Elle mêle le récit du parcours personnel de Dante à une réflexion théologique sur la recherche du salut éternel. Le long poème fut une source d’inspiration majeure pour les artistes de la génération romantique, comme Delacroix, William Blake ou Gustave Doré. Elle fascine encore les sculpteurs de la seconde moitié du XIXe siècle, en particulier Carpeaux (Ugolin, Petit Palais) et Rodin (La Porte de l’Enfer, musée Rodin).
Ici, Aubé représente Dante repoussant de son pied droit la tête d’un damné figurant les forces du mal. La scène est tirée du chant XXXII de l’Enfer : parvenu au neuvième et dernier cercle de l’Enfer, le poète et son guide marchent sur un lac gelé où grelottent les ombres des traîtres. Après avoir traversé « la Caïne », la zone des traîtres envers leurs parents, ils parviennent à « l’Antenora », la zone des traîtres à leur patrie. Dante heurte alors du pied la tête du damné Bocca degli Abati :
« Comme nous avancions tous les deux assez vite
Vers le centre profond où l'univers gravite.
Tandis que je tremblais dans l'éternelle nuit,
Il arriva, hasard ou volontaire outrage !
Qu'en marchant au milieu des têtes, au visage,
Mon pied vint à heurter quelqu'un de ce circuit.
- Pourquoi me foules-tu ? dit-il, versant des larmes ;
À m'outrager ainsi peux-tu trouver des charmes ?
Viens-tu venger encore Mont’Aperti sur moi ? »
Dante est ici représenté avec ses attributs traditionnels, le grand manteau, le chaperon tombant et la couronne de laurier des poètes. La draperie, traitée de façon sommaire par de larges pans, contraste avec la physionomie très expressive du personnage, ainsi qu’avec ses mains crispées s’attachant à relever le bas de son vêtement. L’œuvre est construite sur une puissante ligne de force reliant les regards du damné et du personnage. La Ville de Paris achète à l’artiste ce modèle en plâtre afin de faire réaliser une statue en bronze (fondue par H. Moltz), disposée depuis 1882 place Marcelin-Berthelot, devant le Collège de France. La statue fut également présentée avec succès aux Expositions universelles de Vienne, en 1882, et de Paris, en 1889 et 1900.
H. D.
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