La brève période d’activité artistique de Jules Bastien-Lepage, qu’Émile Zola décrit en 1879 comme le « petit-fils de Courbet et de Millet », se limite à quinze années, entre la fin des années 1860 et le début des années 1880. Considéré comme l’un des ténors du naturalisme, il commence sa carrière en 1868, en tant qu’élève du peintre académique Alexandre Cabanel à l’École de Beaux-Arts. Le Salon de 1874 le fait connaître et lui décerne la médaille de troisième classe pour le "Portrait du grand-père de l’artiste en 1874". À la suite de ce succès, ses portraits sont régulièrement commentés par la critique et plusieurs d’entre eux sont achetés par l’État. 

Les portraits de Bastien-Lepage répondaient en effet aux aspirations du public d’alors, en mélangeant un traitement précis, presque photographique du visage, et un fond esquissé à la manière des impressionnistes. Bastien-Lepage s’inspirait à la fois des réalistes, ses aînés, et des solutions nouvelles de ses contemporains, les impressionnistes, auxquels il empruntait les tons clairs et la touche vibrante. « C’est l’impressionnisme corrigé, adouci, mis à la portée de la foule », commenta Zola. Par ce style synthétique, Bastien-Lepage exerça une grande influence sur les jeunes peintres français, notamment Jean Béraud, Albert Besnard et Alfred Roll si présents dans les collections du Petit Palais.

On connaît peu de choses sur la peinture de Bastien-Lepage avant 1873 mais quelques tableaux subsistent de cette première période, en particulier des portraits des membres de sa famille, de ses très proches amis ou des habitants anonymes de sa ville natale, Damvillers en Lorraine.

Le portrait acquis par le Petit Palais lors de la vente Auzoux du 24 mars 2022, celui du peintre émailleur Alfred Garnier (1848-1908), élève de Cabanel lui aussi, montre la prédilection précoce du peintre pour le portrait intime. Ce tableau sensible est aussi le témoignage d’une triple amitié entre Bastien-Lepage, Alfred Garnier et Charles Auzoux. Le premier offrit son portrait au second, qui à son tour le légua au troisième. Comme l’explique le catalogue de vente, « cette œuvre s’avère être l’une des pièces maîtresses de la collection de Charles Auzoux car elle réunit sous le même lot deux de ses amis les plus proches. » Il n’avait pas quitté la collection d’Auzoux jusque-là. 

Le Petit Palais s’intéresse, à travers ses collections et ses acquisitions récentes, à la fascination croissante du XIXe siècle pour la figure de l’artiste, en tant que type social nouveau et nouvelle figure « sacrée », comme Paul Bénichou l’a bien montré à propos de la figure de l’écrivain. Réunissant deux figures d’artistes, le créateur et le modèle, les portraits d’artistes sont des preuves d’amitié et de confiance, mais aussi des lieux l’émulation et des outils de légitimation voire de « canonisation » de l’artiste en tant que créateur. Au-delà du reflet d’une apparence, le portrait peut faire office de manifeste, où le modèle devient le prétexte d’affirmer une nouvelle manière de voir. Avec ce Portrait d’Alfred Garnier, non seulement Bastien-Lepage réussit cette exigence du genre de capter l’essence de l’artiste, son regard et son tempérament, mais il participe aussi à l’affirmation du statut de l’artiste. Le modèle étant un peintre-émailleur, son portrait est particulièrement intéressant dans la perspective d’une affirmation sociale de l’artiste par le portrait, qui participe aussi au renversement opéré par le XIXe siècle dans les hiérarchies entre les arts.

S. D. de V.
 

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