Peintre montmartrois au profil de mousquetaire, il commence comme tous ses copains par les grandes et insupportables tartines destinées à l’Académie : Jésus insulté par les soldats ; La mort de l’empereur Commode… Le style n’est pas pompier, il est hyperpompier. C’est de la barbouille pour la salle des mariages de l’Hôtel de Ville de Carpentras… Mais, très vite, il abandonne toute cette soupe allégorico-comico-municipale pour devenir, en vraie missionnaire du pinceau, le peintre des pauvres. Et là commence la vraie vie artistique de Fernand Pelez.
Les toiles se succèdent, elles captent la misère au coin des rues : le petit marchand d’oranges, le vendeur de violettes ; sur les visages, la fatigue, la faim… Il faut voir le Saltimbanque, immense toile où, sous les oripeaux du cirque, sous les grimaces, les costumes de piste se cachent la désolation des pitres, les hontes des parias, le désespoir des Paillasse.
Peu à peu, les couleurs s’éteignent, l’art de Pelez prend son essor au fur et à mesure que sa palette s’uniformise et s’assombrit… Ses petits rats de l’Opéra qui se préparent dans les couloirs baignent dans la crépusculaire clarté d’Eugène Carrière.
C’est magnifique, c’est émouvant, on est loin des éternels ressassements des manifestations habituelles… Pelez ne connut jamais le succès… Il y a bien des raisons à cela : une société n’aime pas trop voir l’envers de son décor, surtout quand celui-ci est peuplé de malheur et d’accablement… Cela continue : les salles du Petit Palais étaient vides le jour de ma visite… La parole des humbles ne fait toujours pas recette… de l’autre côté de l’avenue, des enfants grassouillets posent dans des jardins pimpants, ici ils dorment écrasés sous des couvertures trouées… Et nul ne les regarde.
Courez voir Pelez, ne serait-ce que, pour le temps d’un regard, faire revivre, par un peintre oublié, le sombre carnaval des traîne-savates.
Patrick Cauvin, écrivain
Avec l'aimable autorisation du journal d'information local "Montmartre à la Une", qui publiera ce texte dans son prochain numéro. Chez tous les bons commerçants de Montmartre.