Une Gloire, ailée et cuirassée, emporte un jeune guerrier mourant pour l’élever jusqu’aux cieux, vers la Renommée et l’Immortalité. En équilibre sur la pointe d’un pied, la figure allégorique se dresse, ses ailes sont déployées, l'envol est proche. Le titre qu’Antonin Mercié donne à son œuvre est intrigant : Gloria Victis (Gloire aux vaincus). Il s’agit d’un renversement de la célèbre formule, Vae Victis (Mort aux vaincus), que le général gaulois Brennus, en 390 avant JC, aurait lancé aux Romains qu’il venait de vaincre. Réalisée en 1872, un an après la défaite des soldats français contre l’armée prussienne, la statue personnifie la France vaincue mais héroïque : vulnérable dans sa nudité, la tête inclinée, les yeux mi-clos, les bras écartés, le soldat de la Liberté, héros sans gloire, évoque la figure du Christ descendu de la Croix. Le bandage qui ceint son front et le sabre à la lame brisée qu’il tient au poing symbolisent la défaite.

Prix de Rome en 1868, Antonin Mercié est à la Villa Médicis lorsqu’éclate la guerre. Dès l’automne 1870, au début du conflit, il modèle une esquisse représentant une Gloire soutenant un soldat triomphant. À l’annonce de la défaite de la France, il amende son projet initial. Achevé pendant l’été 1872, Gloria Victis est le dernier travail exécuté par le sculpteur à l’Académie de France à Rome : le pâtre original est exposé, sur un haut piédestal, sous la loggia de la Villa Médicis, avant d’être envoyé en France l’année suivante. L’œuvre du jeune pensionnaire porte la marque de l’enseignement académique, comme en témoignent la perfection et l’élégance raffinée des corps évoquant la Renaissance florentine et l’art d’un Benvenuto Cellini. De même, le souffle puissant du mouvement de rapt rappelle L’Enlèvement des Sabines de Giambologna (Florence, Loggia dei Lanzi), et la position de la Gloire inspirée du Grand Saint-Michel terrassant le démon de Raphaël (musée du Louvre).

Après cinq ans passés en Italie, Mercié rentre à Paris en 1874 et expose au Salon le plâtre original de cette Gloire aux Vaincus. Le succès est fulgurant. Rodin, La Défense, S. 1301« Ce premier monument de notre consolation par l’art », selon la belle formule du critique Gustave Larroumet, cristallise les émotions des vaincus, aiguise le patriotisme du peuple souffrant et vient apaiser le traumatisme de l’humiliante défaite. L’œuvre reçoit la grande médaille d’honneur et est immédiatement acquise par la Ville de Paris. Au Salon de 1875, le bronze fondu par Thiébaut & fils suscite un nouveau concert de louanges, consacrant le jeune artiste de 29 ans. En 1879, la statue est placée provisoirement square Montholon avant d’être installée, en 1884, dans la cour centrale de l’Hôtel de Ville de Paris où elle reste exposée jusqu’en 1930.

Après ce premier coup d’éclat, Mercié accumule les récompenses et les honneurs mais il reste aujourd’hui l’artiste d’une seule œuvre. Une œuvre dont le succès se mesure aujourd’hui au nombre de gravures, tirages, réductions et citations qu’elle suscita. De nombreux monuments aux morts de la Guerre de 1870, à Niort, Bordeaux, Agen, Cholet ou Châlon-sur-Marne, sont ornés d’une réplique de la statue de Mercié ; on en trouve des reproductions jusqu’à Copenhague et Washington. Le groupe a également inspiré de nombreux artistes, tel Auguste Rodin dans son projet pour La Défense de Paris.

H. D.

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