Achat d'un dessin de Greuze

Grâce au généreux mécénat de la fondation La Marck, le Petit Palais a fait l’acquisition d’un extraordinaire dessin de Jean-Baptiste Greuze qui est caractéristique de son dernier style de dessinateur et s’impose comme une œuvre importante, à la fois par son format, son sujet et sa date. Il est l’un des derniers grands dessins réalisés par l’artiste et apparaît comme une étude de composition pour un tableau qui n’a jamais été exécuté.

Un projet de pendant

Greuze, La première récolte de blé du fils du cultivateur, PPD6425Ce dessin dialogue avec Le premier sillon, une toile commandée à l’artiste par le comte Chouvalov et désormais conservée au musée Pouchkine de Moscou. Elle représente un homme âgé qui a remis sa charrue à son fils, afin que celui-ci prenne sa suite comme laboureur. Tandis que le père, marqué par les signes de la vieillesse, se tient prostré sur un petit muret à l’extrémité droite de la composition, son fils est aidé de ses propres enfants pour reprendre une charrue tirée par plusieurs vaches et tracer son premier sillon dans les terres familiales. Empreint d’une forte dimension morale, ce sujet aborde des thématiques touchant à la transmission familiale, à la succession générationnelle, ainsi qu’aux rites de formation et de passage qui font déjà le succès de Greuze à ses débuts au Salon dans les années 1750.

L’une des nombreuses élèves de Jean-Baptiste Greuze, Caroline de Valory, consacre un ouvrage à son maître en 1813 et s’impose par là comme sa première biographe. Elle y rapporte que l’« un des derniers tableaux de ce peintre fut celui du Père de famille remettant sa charrue […]. Greuze se promettait de faire un pendant à ce joli tableau, mais la mort l’empêcha de l’exécuter ; il n’en fit que le dessin, qu’il appelait la veuve et son seigneur ou la première indulgence. Ce dessin et celui du cultivateur se trouvent réunis à la collection que possède Mademoiselle Greuze ». 

Une réflexion sur le monde agricole

C’est précisément cette feuille, présentée par Caroline de Valory comme une étude de Greuze pour cette dernière composition que la mort l’empêche de réaliser, que le Petit Palais a acheté. Le sujet de ce pendant témoigne des dernières cogitations de l’artiste et propose une réflexion sur le monde agricole. Regardé comme une force motrice de la nation et comme le socle de la prospérité, il apparaît également comme soumis à la domination des puissants qui le réduisent à l’état de servitude. Tout comme son pendant conservé à Moscou, cette œuvre se rattache à un type d’exercice inhabituel chez l’artiste et s’inscrit dans une veine patriotique qu’il n’a que peu traitée par ailleurs.

Conformément au titre que l’artiste voulait donner à son œuvre, l’homme dressé entre les arbres pourrait apparaître comme le propriétaire des terres cultivées par des ouvriers conduits par une veuve qui porte un voile sur la tête. L’agitation qui traverse les nombreuses figures qui apparaissent sur la composition pourrait s’expliquer par le fait que leur récolte n’a pas été bonne. Le geste magnanime du « Seigneur » et l’attitude déférente de plusieurs personnages, tel le jeune garçon qui se tient agenouillé en bas à droite de la composition en tenant ses mains jointes comme pour prier, suggère que le propriétaire fait preuve d’indulgence – d’où le second titre que rapporte Caroline de Valory – et revoit les exigences pécuniaires qu’il fait peser sur les agriculteurs. La précision selon laquelle Greuze envisageait d’appeler son œuvre La première indulgence peut indiquer que le propriétaire des terres est, comme le laboureur qui lui fait office de pendant, confronté à cet exercice pour la première fois.

Ce dessin trouve d’autant mieux sa place au Petit Palais que celui-ci conserve déjà une peinture et un dessin de Greuze, ainsi que plusieurs gravures réalisées d’après ses compositions et sous sa supervision.

B. R. Mise en ligne le 18/09/2025