La donation Tuck

Le 21 octobre 1921, la Ville de Paris reçoit, sous réserve d'usufruit, la donation de la collection réunie par Edward Tuck et son épouse Julia Stell, un couple d'américains francophiles, philanthropes et amateurs d'art.

Louis Lejeune - Buste d'Edward Tuck Edward Tuck est né en 1842 dans l'état du New Hampshire aux États-Unis. Diplômé de droit, il entame une brève carrière de diplomate à Paris, en 1864, avant d'être recruté par la Munroe Bank l’année suivante. C’est à l’occasion d’un voyage à Paris, pendant la Commune, qu’il rencontre Julia Stell, une riche héritière américaine, avec laquelle il se marie en 1872. Le couple s’installe à New York où le retiennent les fonctions d’Edward au sein de la direction de la Munroe Bank. En 1880, il se met à son compte et investit dans les chemins de fer et l'industrie qui font sa fortune.

Tombés amoureux de la France, les deux époux multiplient les voyages transatlantiques et c'est tout naturellement qu'ils s'installent à Paris, en 1889, lorsqu'Edward se retire des affaires. Ils reçoivent, dans le salon de leur appartement des Champs-Elysées, de nombreuses personnalités américaines de passage à Paris. En 1898, ils acquièrent le château de Vert-Mont, situé entre Malmaison et le domaine de Bois-Préau, qu’ils restaurent et agrandissent.

Edward et Julia s'adonnent à de nombreuses activités philanthropiques entre la France et les États-Unis : création de l’hôpital Stell à Rueil Malmaison en 1903, création d'une école ménagère pour les filles ouvrières en 1906, création de l'une des toutes premières Business School : l’Amos Tuck School of Administration and Finance, au sein du Dartmouth College dont Edward est diplômé…

Leur action est également exemplaire pendant la première guerre mondiale : ils mettent à disposition du service de santé français l’hôpital Stell pour l’accueil des blessés de guerre et installent un centre de soutien psychologique à Vert-Mont. A l’issue du conflit, le château abrite plusieurs réunions préparatoires à la signature du pacte de la Société des Nations

Ce sont également de grands mécènes. Ils soutiennent particulièrement le château de Malmaison, voisin de Vert-Mont, transformé en musée en 1905 (dons du domaine de Bois-Préau pour être réuni à celui de Malmaison et de la table des Maréchaux, commandée par Napoléon Ier pour commémorer la victoire d'Austerlitz). Par ailleurs, entre 1929 et 1934, Edward fait restaurer à ses frais le Trophée d’Auguste à la Turbie et finance la construction d'un musée de moulages qui porte son nom.

Harpe du 18e siècle, collection TuckLe couple est aussi collectionneur et apprécie particulièrement les arts décoratifs du XVIIIe siècle. La collection se compose de mobilier, de tapisseries, de montres, de porcelaines de Sèvres, de figurines de Meissen, d’émaux anglais ainsi que de quelques belles peintures. Les Tuck ont également réuni quelques œuvres liées à la figure de Benjamin Franklin qu’ils admirent. Cependant, le point fort de la collection est sans conteste son remarquable ensemble de porcelaines de Chine, comprenant les pièces les plus rares, et comparé, pour sa qualité, à la collection Morgan par le New York Times en 1915. La collection fait l'objet d'une luxueuse publication en 1910 intitulée Some works of art belonging to Edward Tuck in Paris.

Depuis les années 1910, Edward envisage d’offrir la collection à la New Hampshire Historical Society, dont il est l’un des bienfaiteurs, mais l'adoption en 1920 d'une loi française taxant fortement l'exportation des œuvres d'art à l'étranger l'amène à reconsidérer son projet. C’est le marchand d'art Sir Joseph Duveen, qui le conseille depuis des années dans la formation de la collection, qui met Edward et Julia en relation avec Henry Lapauze, directeur du Petit Palais. Séduits par la proximité du musée avec leur appartement des Champs-Elysées, les époux décident de donner, sous réserve d’usufruit, leur collection au Petit Palais. Après la disparition de Julia en 1928, Edward renonce à l'usufruit et suit de très près l'installation de la collection dans la galerie du Petit Palais qui donne sur les Champs-Elysées. En lien avec la maison Duveen et l’architecte Guillaume Tronchet, il achète de belles boiseries anciennes en chêne clair afin de créer un écrin pour la collection dont la présentation est inaugurée le 5 novembre 1930 en présence du président de la République, Gaston Doumergue.

Louis Lejeune - Buste de Julia S. TuckÀ la fin de sa vie, Edward alterne entre séjours à Paris et à Monte Carlo où il meurt le 30 avril 1938.

Edward Tuck et Julia Stell ont été récompensés pour leurs multiples actions philanthropiques. Tous les deux ont été décorés de la légion d'honneur : Julia a été nommée chevalier en 1917 et officier en 1921 et Edward, après avoir passé tous les grades, a été élevé à la dignité de grand-croix en 1928. Ils ont reçu de nombreux prix et médailles notamment le Prix de vertu, décerné par l'Académie française en 1916, et la médaille d'or du Conseil de Paris en 1921.

Le catalogue de la collection est publié dès 1931 : Palais des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Catalogue de la collection Tuck.

L'inauguration de la collection Tuck a fait l'objet d'un numéro spécial de la revue La Renaissance  : consacré à la collection de Mr. et Mrs. Edward Tuck au Petit Palais en janvier 1931.

C. M.